L'univers du lombric
La course au mouton sauvage d'Haruki Murakami est un roman étrange. L'univers de Lewis Caroll et Le Procès de Kafka entrés en collision. L'auteur y déploie un vrai sens narratif, mis au service d'une histoire où se côtoient, auprès du narrateur - jeune cadre publicitaire tokyoïte à la vie plus que banale- une mannequin pour oreille, une puissante organisation d'extrême-droite et un mouton doté de pouvoirs extraordinaires.
Ce réel continuellement en fuite, échappant à toute emprise, c'est ce que le narrateur appelle l'univers du lombric. "Au sein d'un tel univers, dit-il, il n'y a rien d'étrange à ce qu'une vache laitière soit à la recherche d'une tenaille. Sans doute viendra-t-il un moment où la vache mettre la main sur sa tenaille. Moi, je n'ai rien à voir là-dedans.
Mais les choses prendraient une tournure toute différente si, pour trouver sa tenaille, la vache se servait de moi. Je me retrouverais plongé dans un univers répondant à une autre logique. Je demanderais à ma vache laitière: "Pourquoi veux-tu une tenaille?" Elle répondrait: "Parce que j'ai très faim, tiens!" Je lui demanderais: "Pourquoi te faut-il une tenaille quand tu as faim?" Elle dirait: "Mais pour m'attacher à une branche de pêcher voyons!" Je demanderais: "Et pourquoi un pêcher?" Elle répondrait: "N'ai-je donc pas cédé mon ventilateur?" On en sortirait jamais."
Voilà, c'est cela, l'univers du lombric. Celui-ci règne en maître dans La course au mouton sauvage. Si dans son ensemble, cette histoire semble d'une absurdité incroyable, tout dans le détail est terriblement net et s'enchaîne à la perfection. On en sort sonné, comme après un drôle de rêve. Captivant.
+ Haruki Murakami, La course au mouton sauvage, 1982, trad. Patrick de Vos, Editions du Seuil
+ A lire aussi, du même auteur, Kafka sur le rivage, 2003, trad. Corinne Atlan, 10/18 Domaine étranger
Ce réel continuellement en fuite, échappant à toute emprise, c'est ce que le narrateur appelle l'univers du lombric. "Au sein d'un tel univers, dit-il, il n'y a rien d'étrange à ce qu'une vache laitière soit à la recherche d'une tenaille. Sans doute viendra-t-il un moment où la vache mettre la main sur sa tenaille. Moi, je n'ai rien à voir là-dedans.
Mais les choses prendraient une tournure toute différente si, pour trouver sa tenaille, la vache se servait de moi. Je me retrouverais plongé dans un univers répondant à une autre logique. Je demanderais à ma vache laitière: "Pourquoi veux-tu une tenaille?" Elle répondrait: "Parce que j'ai très faim, tiens!" Je lui demanderais: "Pourquoi te faut-il une tenaille quand tu as faim?" Elle dirait: "Mais pour m'attacher à une branche de pêcher voyons!" Je demanderais: "Et pourquoi un pêcher?" Elle répondrait: "N'ai-je donc pas cédé mon ventilateur?" On en sortirait jamais."
Voilà, c'est cela, l'univers du lombric. Celui-ci règne en maître dans La course au mouton sauvage. Si dans son ensemble, cette histoire semble d'une absurdité incroyable, tout dans le détail est terriblement net et s'enchaîne à la perfection. On en sort sonné, comme après un drôle de rêve. Captivant.
+ Haruki Murakami, La course au mouton sauvage, 1982, trad. Patrick de Vos, Editions du Seuil
+ A lire aussi, du même auteur, Kafka sur le rivage, 2003, trad. Corinne Atlan, 10/18 Domaine étranger